Notes de mes cours de tricot

« Si tu fais une erreur, fais-en une deuxième. Comme ça, les gens penseront que tu as fait exprès. Ils ne se douteront de rien si tu ne leur dis pas! »

Photo credit: Ben Hosking

Voilà ce que me conseillait ma grand-mère lorsqu’elle m’apprenait à tricoter. Le tricot est parmi les choses les plus difficiles que j’aie jamais apprises, et ma tendance générale est de m’en tenir aux grandes lignes des consignes plutôt que de les suivre au pied de la lettre. Grand-maman et moi avons ainsi passé plusieurs séances de tricot hilarantes à transformer nos erreurs en « éléments de conception ». Ses paroles me sont revenues au moment où j’enregistrais l’ébauche d’un open score pour un ami collègue. Elles sont aussi d’une pertinence magnifique lorsqu’on fait de la musique créative avec des amateurs.

Que ce soit pour le tricot ou la musique, je préfère recevoir des consignes générales claires plutôt que des détails à n’en plus finir. Voilà pourquoi j’écris des open scores permettant une bonne marge de manœuvre à l’interprète. C’est avantageux lorsqu’on travaille avec des loopers, puisque chaque nouveau loop est (un peu ou très) différent du dernier. Quand je me suis installée pour enregistrer cette ébauche pour mon collègue, j’avais un plan – une liste de sections avec des choix de notes et des procédés correspondants.

Attention… on tourne!

Ébauche de Knitting Lessons, pour clarinette et loop station

Tout se passe à merveille, jusqu’à ce que :

MOI QUI ME PARLE : Zut. J’ai fait une erreur. (elle écoute quelques loops à 1 m55 s et se remémore les conseils de tricot de grand-maman)

Hummm, c’est pas pire, en fait – ça annonce en quelque sorte ce que je compte faire plus tard. (elle poursuit le procédé désigné pour cette section avec la construction d’un nouveau loop)

Alors maintenant, il faudrait intégrer cette erreur… (elle fait de la claquette sur les loopers de 2 m 35 s à 2 m 50 s)

… ouais, cool, ça marche…

Oups! En fait, j’avais autre chose en tête. (elle écoute la nouvelle « erreur » à 2 m 50 s)

À vrai dire, c’est cool, ça. Je me demande si je peux m’en servir… (elle complète le procédé)

S’il y a bien une chose que j’ai apprise grâce au looping, c’est que les événements inattendus sont tout aussi intéressants, sinon plus, que ce ceux qui étaient prévus. Les deux « erreurs » que comprennent cet enregistrement n’étaient pas intentionnelles, mais elles en sont devenues des « éléments de conception » et, en bout de ligne, elles se sont carrément retrouvées dans la partition finale. Si je m’étais arrêtée après avoir commis la première erreur, je n’aurais jamais su à quoi elle me mènerait.

Voilà comment les conseils de tricot de grand-maman me sont utiles lorsque je fais de la musique créative avec musicien·ne·s amateur·rice·s. Le moyen le plus efficace d’inhiber la créativité et l’inspiration, c’est d’adopter une approche qui oppose les bonnes réponses aux mauvaises. Parfois, certaines erreurs sont réellement des erreurs; dans ce cas-là, il est important de s’en occuper à la source (je viens de découvrir la provenance de cette satanée distorsion grésillante…). Quelles stratégies peut-on employer pour organiser une activité de musique créative où on ne cherche pas systématique à identifier les erreurs, et où on suppose que celles-ci sont riches en potentiel? J’y réfléchirai plus longuement dans les prochains articles de blog. Bonne rentrée, tout le monde!

 

Loops en folie

En vedette : l’École secondaire de la Pointe-aux-Trembles
Karine Lalonde, enseignante en musique
Nikola, violoniste, 3e secondaire
 
Travailler avec des ados peut s’avérer aussi gratifiant que difficile. Si on réussit à les accrocher avec une activité quelconque, ils y mettront une énergie insoupçonnée – mais s’ils ne sont pas intéressés… ouille. J’ai compris que j’avais touché une corde sensible cette année lors d’un atelier Une école accueille un artiste, que j’animais alors à l’école secondaire de la Pointe-aux-Trembles. J’ai fait une démonstration de mon jeu de clarinette après l’avoir raccordé à des pédales de loop. Quand j’ai eu terminé, j’ai vu 25 ados, bouche bée, et j’ai entendu « On peut faire de la musique comme ça? », « Est-ce que je peux essayer? », « hallucinant »…

Il n’y a rien de plus facile que d’installer une pédale de loop pour quelqu’un. On active simplement le mode delay sur la pédale, on tient un micro près de leur instrument et on leur demande de jouer une note. La pédale fait rejouer cette note… encore et encore. Cette fonction permet aux gens de réécouter ce qu’ils viennent tout juste de jouer. La plupart des musiciens amateurs ont une écoute plutôt raffinée : ils distinguent instantanément ce qu’ils aiment de ce qu’ils n’aiment pas!

Ça a certainement été le cas de Nikola, violoniste qui joue de son instrument depuis cette année, et le premier élève à s’être servi de ma pédale de loop après ladite démonstration. Nous avions l’avantage d’avoir complété deux ateliers d’improvisation axés sur des jeux musicaux interactifs; d’autre part, son enseignante en musique, Karine Lalonde, lui offre actuellement une excellente formation. À part ça, je n’ai aucun mérite en ce qui concerne les échantillons sonores suivants : j’ai tenu le micro, je lui ai expliqué le fonctionnement de la pédale, et Nikola s’est chargé du reste. Quelques essais plus tard, voici son premier loop :

Loop rythmique de Nikola, réglage du delay à 120 ms

Pendant l’enregistrement de ce loop, Nikola n’était pas satisfait d’un son aigu soutenu : il souhaitait obtenir un son un peu moins strident. Karine, une excellente violoniste, lui a donc montré comment jouer une harmonique artificielle à distance de quarte – précisément le genre de son qu’il cherchait.

Puisque le premier loop de Nikola avait produit une espèce de bourdonnement rythmique, je lui ai suggéré de développer une idée contrastante en se servant de glissandos. Voici son deuxième loop :

Loop de Nikola créé à partir de glissandos, réglage du delay à 120 ms

Après le cours, j’ai voulu offrir à Nikola un exemple de ce qu’on pourrait faire avec deux loops contrastants. Voici le résultat :

Loops de Nikola, arrangement de Louise Campbell

Je serais très intéressée d’entendre les résultats auxquels Nikola serait arrivé avec ses deux loops. Ma mission actuelle : rechercher des applis gratuites permettant à des élèves d’enregistrer, de créer et de mixer leurs propres loops en se servant d’un minimum d’équipement. Tenez-vous bien, j’ai de nouveaux ateliers Une école accueille un artiste en chantier pour 2018-’19!

Une note sur les besoins techniques : il n’est pas nécessaire que l’équipement soit sophistiqué ou coûteux. Voici un principe général utile : évaluez l’équipement que vous avez à votre disposition et rajoutez-y ce qu’il faut pour qu’il puisse servir. Recherchez des applis de looping gratuites, des amplis avec fonctions delay et reverb intégrées, et des pédales de loop. Demandez à vos élèves ce qu’ils savent et font déjà : il est probable qu’il y en a parmi eux qui font déjà leur propre mixage. Servez-vous de leur équipement préféré, et vous vous retrouverez avec des experts qui s’emballeront à parler d’équipement et à partager leurs connaissances avec leurs collègues tout fraîchement branchés.

La musique au bout de vos doigts, deuxième partie

Dans l’article de blog précédent, j’ai détaillé un processus de création musicale où on emploie des téléphones cellulaires pour enregistrer des pistes et les faire rejouer. Qu’est-ce qui se passe quand on expérimente avec des notes de hauteurs variées, et quand on incorpore des instruments acoustiques?

Le processus

  1. Demandez aux élèves d’enregistrer 3 à 5 sons filés (si bémol concert) entrecoupés de silences sur leur téléphone. Faites rejouer ces sons sur un maximum d’appareils, ce qui donnera un bourdon (drone) en si bémol concert. Ça:
    1. …devient ça :

Exemple: Extrait Waxworks de Trina Davies, dirigé par Glenda Stirling, design sonore de Louise Campbell (Production CUE, 2017)

2. Demandez à quelques élèves d’improviser en utilisant une gamme de si bémol concert. La simplicité est de rigueur – on obtient parfois de très beaux résultats en ne jouant que quelques notes longues ou un trait de gamme ascendant.

3. Demandez aux élèves d’enregistrer 3 à 5 sons filés (la et si bémol concert). Faites rejouer ces sons sur un maximum d’appareils.

4. Demandez à quelques téméraires d’improviser avec une gamme de si bémol concert. Comment le résultat sonore est-il différent selon qu’on improvise contre le bourdon en la ou celui en si bémol?

5. Demandez aux élèves de choisir 3 à 4 notes différentes à enregistrer, par exemple, la-do-mi-sol ou ré-fa dièse-si bémol.

6. Demandez à quelques élèves d’improviser avec les mêmes notes que celles qu’ils·elles ont enregistrées et, ensuite, d’ajouter une note à la fois jusqu’à l’obtention d’une gamme qui fonctionne avec les notes enregistrées.

Troisième étape :

  1. Formez des groupes de 6 à 8 élèves; donnez-leur comme mission de choisir leurs propres notes, les enregistrer, les faire rejouer sur leurs cellulaires et improviser pendant la lecture des pistes. Les groupes avancés peuvent expérimenter avec la durée des sons filés et des silences. Comment cette variation simple modifie-t-elle la texture et les possibilités d’impro?

 

La musique au bout de vos doigts, première partie

Que se passe-t-il quand on fait de la musique avec ce bidule technologique que beaucoup de gens portent sur eux? Vous l’avez deviné – cet article de blog porte sur comment créer une musique originale à l’aide de téléphones cellulaires.

Je me suis d’abord servie de téléphones cellulaires comme sources de matériel sonore quand j’ai voulu créer l’illusion d’une forêt pleine d’oiseaux – mille mercis à la chorégraphe Louisa Rachedi, et à tou·te·s les danseurs et danseuses du Banff Creative Gesture Lab 2017, de m’avoir permis cette fantaisie! Je voulais recréer des chants d’oiseaux tels qu’on les entend dans la nature, où ils sont mobiles et proviennent d’une multitude d’endroits. J’ai demandé aux danseur·euse·s de faire jouer des chants d’oiseaux préenregistrés sur leur téléphone, et de garder l’appareil sur eux·elles en dansant. J’ai dû résoudre certains problèmes (appuyer sur play en dansant, ce n’est pas très esthétique comme pas de danse), mais l’effet était magique – la dimensionnalité du son a animé l’espace, créant un effet que je n’ai pas l’habitude d’observer à moins d’être en camping. Pour recréer cette expérience, mettez la piste suivante en file d’attente sur 6 à 8 cellulaires, et décalez l’activation de chaque appareil sur une minute :

Songbird, tel qu’interprété par au Banff Centre Creative Gesture Lab 2017, Louise Campbell.

Maintenant, voici comment intégrer des cellulaires à un processus de création musicale destiné à des élèves du secondaire :

  1. Activez le mode avion sur tous les téléphones afin d’éviter les interruptions indésirables pendant l’enregistrement et la lecture de la piste.
  2. Demandez aux élèves d’enregistrer de 3 à 5 sons filés entrecoupés de longs silences à l’aide du microphone et de l’application d’enregistrement intégrée au téléphone cellulaire. La sensibilité du microphone varie énormément d’un appareil à l’autre, alors laissez le temps à vos élèves de faire plusieurs captations avec le téléphone – à un, deux et trois pieds de distance – afin de déterminer ce qui donne le résultat optimal.

Exemple : signal (cue) de téléphone cellulaire tiré du design sonore de Louise Campbell pour Waxworks de Trina Davies, dirigé par Glenda Stirling (production CUE, 2017)

  1. Activez le mode répétition ou désactivez la lecture automatique de la piste suivante. Si aucune de ces options n’est disponible, enregistrez un silence de dix secondes à la suite du dernier son filé pour que l’élève puisse interrompre la lecture du fichier audio avant que le lecteur ne passe à la prochaine piste sur la liste d’écoute.
  2. Une fois tous les sons filés enregistrés, demandez aux élèves de faire jouer les pistes à différents moments.

Exemple : on fait jouer la piste de l’exemple précédent sur quatre téléphones. Je cherchais à incorporer un son sinistre et désincarné à une scène plutôt troublante de la pièce de théâtre Waxworks.

  1. Reprenez l’instruction au no. 4 en demandant aux élèves de se disperser dans la salle en une variété de configurations. Comment le résultat sonore change-t-il selon l’entassement ou la dispersion des élèves? Qu’est-ce qu’on entend quand on active 6 téléphones plutôt que 26? Qu’est-ce que ça donne si on fait jouer les enregistrements presque simultanément, ou encore si on décale leur lecture sur 1 à 2 minutes? Comment pourriez-vous vous y prendre autrement pour faire jouer cette piste?

Jouer au jeu de la musique : une activité branchée!

Ce n’est pas un secret – j’ai tendance à favoriser la musique acoustique, surtout quand il s’agit de faire de la musique avec des musiciens amateurs. Je préfère me servir des outils dont les gens disposent pour faire de la musique, que ce soit la voix, la percussion corporelle, des objets trouvés ou des instruments. Imaginez-vous donc mon étonnement quand j’ai réalisé que je passais plus de temps à brancher ma clarinette qu’à en jouer de façon traditionnelle, et que mes outils technologiques s’étaient immiscés dans mon travail avec les musiciens sans formation.

Comment en suis-je arrivée là? Grâce à la danse. Je joue pour des danseurs depuis longtemps, et j’adore jouer d’un instrument acoustique dans ce contexte. Toutefois, lorsque j’occupe seule le rôle de musicienne, j’ai souvent affaire à un défi particulier : la clarinette est un instrument mélodique et, au cours d’un spectacle d’une heure, il arrive un moment où une seule mélodie ne me suffit plus. J’ai déjà contourné le problème en repoussant les limites de l’instrument, en me servant d’objets trouvés, en demandant aux danseurs de faire office de « chœur » – mais en réalité, un seul instrument mélodique ne peut me fournir la palette sonore élargie dont j’ai besoin. Je dois me dédoubler.

Voilà l’utilité des pédales de guitare. Les pédales de loop, c’est magique – on enregistre une piste, et le looper la répète allègrement jusqu’à ce qu’on lui dise d’arrêter. On superpose une autre piste… et soudainement, un instrument mélodique peut s’occuper de l’harmonie et du contrepoint. On ne fait pas que se dédoubler – on se transforme en un orchestre complet. C’est magique – et ça crée une dépendance, ce qu’on constate à observer l’expansion de ma collection de pédales.

Je ne peux certainement plus prétendre jouer d’un instrument acoustique. Je me sers de loopers et de processeurs d’effets, ce qui me donne accès à des options harmoniques et contrapuntiques, à l’échantillonnage, au traitement numérique de sons en temps réel, et à l’utilisation d’échantillons sonores préenregistrés. Je jongle avec ces éléments au fur et à mesure afin de respecter les durées variables que demandent les open scores, très courants dans le milieu de la danse. J’utilise quand même l’ensemble de mes solutions acoustiques – j’ai maintenant une gamme élargie d’options, et je choisis la solution la plus appropriée selon le cas.

L’histoire de la musique regorge de gens ingénieux ayant cherché à résoudre un défi de façon originale. Mon défi était de concevoir des œuvres de longue durée pour clarinette seule (et les partitions correspondantes) pour des projets de danse. Quel est le vôtre? Où vos solutions vous mèneront-elles? Les prochains articles de blog exploreront des technologies simples et accessibles pouvant servir à faire de la musique avec des amateurs.

 

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