À la hauteur de…

Curieusement, un grand défi dans la co-création avec les amateurs est de trouver une façon pour que les participants décident les hauteurs du matériel musical.

Voici le contexte : j’entre dans la salle d’harmonie d’une école secondaire pleine de 20 à 30 ados. Notre tâche est de co-créer, répéter et jouer une pièce dans le délai d’une heure. Je viens de rencontrer les participants. Je ne connais ni leur goûts musicaux ni leur niveau de théorie musicale, et encore moins leurs noms. On y va!

Premièrement, je m’assure que les gens savent qu’il n’y a pas de mauvaises notes dans un processus créatif, seulement des notes intéressantes (voir Notes de mes cours de tricot). Ensuite, je cherche un moyen pour que tout le monde puisse parler facilement des hauteurs. Quand je suis invité dans une école secondaire, nous nous réchauffons généralement avec une gamme de Sib majeur, la lingua franca de l’harmonie. Heureusement, cela se prête aux degrés de la gamme. Donc, je peux préciser « jouez le degré X », plutôt que « les flûtes jouent telle note, les trompettes et les clarinettes jouent telle note, les altos jouent telle note, euh, et vous avez des cors… »

Petite astuce: j’adore les degrés de la gamme. Non seulement ils facilitent la communication entre moi et l’ensemble, mais les degrés de la gamme permettent aux participants de parler directement entre eux, plutôt que de passer par moi, leur professeur ou un tableau de transposition.

Une fois que vous avez établit le mode de communication, voici un processus pour trouver les hauteurs:

1. Demandez à quatre participants à la fois de jouer n’importe quelle note sur votre signal.
2. Donnez plusieurs signaux, en demandant aux participants de changer leurs notes à chaque fois, ce qui donne une série d’accords à 4 notes.
3. Demandez aux participants de choisir l’accord qu’ils préfèrent.
4. Écrivez les notes au tableau en utilisant les degrés de la gamme ou en les transposant au besoin.
5. Sur votre signal, demandez à tout le monde de jouer une des quatre notes au tableau, résultant en une orchestration riche de cet accord.

Cette séquence dure environ 20 minutes, y compris le réchauffement. J’apprends beaucoup sur les préférences musicales et les niveaux des groupes pendant cette période, ce qui m’aide à orienter la suite. Les groupes montrent des préférences musicales extrêmement différentes, en choisissant des clusters atonaux, des accords de jazz à quatre notes, et des intervalles de quintes. Je suis les intérêts du group – c’est leur musique, après tout.

Voici quelques exemples du matériel musical choisi par différents groupes.

  • III-VII
  • I-III-VII
  • II-IV-VI-VIII
  • III-IV-VII
  • I-IV-#IV-V

Dans le prochain article de blog, nous continuerons ce processus avec le prochain défi: quoi faire avec un ensemble qui veut clairement faire de la musique avec un beat.

Pour Leila

Pour commencer la saison, j’aimerais vous raconter une petite histoire sur Leila, mon amie de trois ans, qui nous permettra d’apprendre à la connaître et de voir comment elle fait de la musique. Je partagerai également quelques réflexions sur la manière d’animer la musique créative chez toutes sortes de gens.

Pour Leila

J’ai encore perdu mes mitaines. Je les perds toujours. Sauf que cette fois-ci, il fait -33°. Je suis en train de regarder Leila jouer dans la neige dans la cour de la garderie, les mains gelées par le froid. Impossible que je sois venue sans mes mitaines, je m’en serais rendu compte. Ils doivent être à l’intérieur.

« Leila, j’ai perdu mes mitaines. Peux-tu m’aider à les retrouver? »

Leila me regarde sans comprendre et se remet à creuser dans la neige. Moi non plus, je ne comprends pas. Mes mitaines sont énormes – ce sont de grosses mitaines noires qui remontent jusqu’aux coudes. Elles gardent mes mains bien au chaud quand il fait un froid glacial et sont très difficiles à perdre.

« J’ai perdu mes mitaines, Leila. Où sont-elles passées? »

Elle me regarde, toujours sans comprendre, mais j’ai maintenant son attention. Leila se préoccupe beaucoup de ce qui appartient à qui. Depuis qu’elle marche à quatre pattes, elle essaie toujours de m’amener mes affaires. Une fois, c’était mes chaussures, alors que je discutais avec sa mère dans le salon. Une autre fois, j’étais au beau milieu d’une grosse soirée, et elle m’a apporté mon manteau. Un jour, elle m’a même amené mon sac à dos, qui pèse presque autant qu’elle, en le traînant avec détermination.

Je lui demande son aide, et je suis sérieuse. Je ne veux pas traverser la ville dans ce froid sans mes mitaines. Je les ai cherchées partout dans la garderie. Même les employés de la garderie les ont cherchées, mais personne ne les a trouvées.

« Mes mitaines, Leila, où sont-elles passées? » Elle me regarde et fait le geste que font tous les enfants de trois ans pour dire « je ne sais pas », puis se met à chercher de tous côtés, sans succès. Nous décidons ensuite de retourner à la garderie pour chercher à l’intérieur. Dans le froid hivernal, la neige craque sous nos bottes. Quand j’ouvre la porte de la garderie, c’est un courant d’air chaud qui nous accueille. Mes lunettes s’embuent et je ne vois plus rien.

« Où est-ce que mes mitaines pourraient bien être, Leila? J’ai regardé partout », je lui dis en essuyant mes lunettes. Une fois que je les remets, je vois Leila qui tient mes mitaines, un grand sourire au visage.

« Leila, tu les as trouvées! Où étaient-elles? »

« Elles étaient juste là, Louise! Juste là. » Elle les garde pendant que nous sortons de la garderie, que je la mets dans sa poussette, que je me bats avec la fichue ceinture de la poussette, que je lui donne son goûter. Elle me regarde une fois que nous sommes prêtes à partir : « À ton tour, Louise. Mets tes mitaines. Youpi! »

Tout ça de mon ami de 3 ans qui vient juste d’apprendre à prononcer mon nom au complet (« Lou-ise ») il y a deux semaines. Elle s’occupe de moi. Elle prend soin de moi du mieux qu’elle peut, en m’apportant mes mitaines, en gardant mes mains au chaud, en m’encourageant.

Cette histoire montre pourquoi il faut porter une attention particulière aux gens avec qui nous interagissons pour reconnaître leurs forces et leurs champs d’intérêt. Dans le cas de Leila, non seulement elle fait bien des choses mieux que moi (et pas seulement surveiller mes mitaines), elle est l’une des meilleures improvisatrices que je connaisse. Depuis sa naissance, elle explore le potentiel sonore de tous les objets qu’elle trouve, que ce soit en grattant les surfaces ou les tissus avec ses ongles ou en faisant du « mixage » en temps réel avec des jouets sonores. Posez une guitare électrique sur le sol pour qu’elle puisse la jouer, et elle créera des sons qu’un professionnel ne saurait reproduire. Je pourrais facilement me dire que Leila « ne sait rien » parce qu’elle a trois ans, mais ce serait passer à côté de toutes les choses qu’elle fait déjà très habilement.

Lorsque j’entre dans une pièce remplie de gens prêts à faire de la musique, je fais de mon mieux pour ne pas oublier que les gens sont toujours plus profonds qu’on ne l’imagine, et qu’il faut avant tout éviter de les sous-estimer. Je me pose une série de questions : Qui sont ces gens? Quelles connaissances ont-ils, qu’est-ce qu’ils aiment? Quelles sont les compétences qu’ils ont perfectionnées et dont ils sont fiers? De quelle façon comprennent-ils le sujet qui nous occupe et les sujets reliés? Les comprennent-ils de la même manière que moi ou pas? Que puis-je apprendre d’eux? Quelle est la meilleure manière de faire de la musique ensemble?

Bonne saison à tous!

 

Imaginez …

Imaginez ma surprise quand j’ai débarqué sur une île qui ne semblait pas avoir de rivage. En effet, quand je suis arrivée aux Îles de la Madelaine pour une résidence d’artiste à l’école Grosse-Île, ce n’était que neige et glace à perte de vue. Lorsque je suis partie un mois plus tard, les vagues se brisaient sur la plage et les gens de Grosse-Île se préparaient avec enthousiasme pour la saison de pêche. Dans le cadre du volet Une école accueille un artiste du programme La culture à l’école et avec le soutien de l’initiative ACE de l’organisme ELAN, les étudiants, les membres de la communauté et moi avons exploré de la musique inspirée par les lieux. C’était vraiment l’endroit parfait pour faire cela ! Pour en apprendre davantage sur cette expérience ou écouter la musique que nous avons créée :

Écouter : le feuilleton radiophonique « November Storm » créé par les étudiants

Lire : Grosse-Île accueille une artiste, article dans le journal Le Radar:

Grosse Ile acceuille une artiste

Écouter : une étudiante parle de son expérience :

CBC Breakaway (en anglais)

Poèmes sonores

« Tu veux que je fasse quoi? Oh non, je chante vraiment très mal… »

Quel·le musicien·ne n’a jamais entendu ou prononcé ces paroles? Au quotidien, la plupart des gens parlent. Toutefois, demandez-leur de chanter, et voilà qu’une panoplie d’insécurités se manifestent. En ce sens, j’ai plusieurs façons de mettre les gens à l’aise en contexte musical. Entre autres, je les invite à jouer avec la sonorité des mots.

Poème sonore de dix secondes

Instrumentation : voix
Âge et niveau d’habileté : tous les âges; aucune formation musicale n’est nécessaire
Nombre de participants : 6-35

Choisissez un sujet et faites un brainstorming pour trouver des mots qui s’y rattachent. Parmi mes groupes, on a déjà opté pour des noms de lieux, des thèmes liés aux saisons ou aux phénomènes naturels, et des expériences partagées. Dirigez la conversation afin qu’on y relève des onomatopées, soit des mots dont la sonorité rappelle le sens.

Par exemple, prenons l’eau :

Bloub, fschhh, bing, plouf, ploc, gloup, sploush, splotch, plic, plop, glouglou, splaf, pschitt…

La liste ne s’arrête pas là! Lancez un échange ludique avec vos participant·es où on explore une variété d’inflexions et de prononciations. On peut vocaliser le son sploush ou le chuchoter, l’étirer ou l’écourter, y incorporer des s sifflants ou un chhhh bien prolongé…

Ensuite, écrivez chaque mot sur un bout de papier et demandez à chaque participant·e de choisir un mot au hasard.

Ensuite, dirigez un Poème sonore de dix secondes : en tant que chef, indiquez le début d’une série de segments de 10 secondes. Chaque participant·e dit son mot à un moment donné pendant un de ces segments. Par exemple, je pourrais dire splouuuuuuuuuush au début – ou à la toute fin – d’un segment de dix secondes. Comme les participants vocalisent leur mot à leur façon et à intervalles variés, chaque segment de dix secondes est unique.

Le Poème sonore de dix secondes peut prendre plusieurs tournures. Le ou la chef peut modifier la durée des segments en les raccourcissant, en les allongeant, en accélérant ou en ralentissant leur cadence. Remplacez le ou la chef, ou désignez plusieurs chefs. Choisissez de nouveaux mots. Allez découvrir cet enregistrement d’une co-composition réalisée en classe selon ce procédé par mon groupe Sing! – notre création nous a bien surpris·es!

Water poem, composition collaboratif et performance par les participants de Sing!, printemps 2017

Que se passe-t-il si…

Vos élèves comprennent, de façon rudimentaire, comment les instruments produisent du son. Que se passe-t-il si on déconstruit un instrument jusqu’à ce qu’on obtienne sa composante la plus rudimentaire, soit celle qui produit du son? Que se passe-t-il si on ne joue qu’une partie de l’instrument? Que se passe-t-il si on le reconstruit à en y incorporant des objets trouvés? Que se passe-t-il si…

Vous voyez le genre. La conception et la modification des instruments, ainsi que l’exploration sonore, sont d’actualité.

Instrumentation : vents et cuivres
Âge et niveau d’habileté: tous les âges, tous les niveaux
Nombre de participants : groupe-classe complet ou groupes de 2-3

Déconstruisons la clarinette, puisque c’est l’instrument que je connais le mieux. Essentiellement, c’est l’embouchure qui sert à produire le son de l’instrument. Le corps de la clarinette sert de résonateur. Pour reconstruire une clarinette, on manipule le corps de l’instrument.

Matériaux utiles.

Les objets trouvés comme résonateurs : de quoi pourrait-on se servir comme résonateur, mis à part le corps de l’instrument? Pensez à des matériaux que vous avez déjà en main à la maison, tels que des tubes d’essuie-tout de différentes longueurs, un rouleau de papier d’aluminium, un ballon éclaté. Trouvez une façon d’étanchéifier le raccord entre l’embouchure et le résonateur. S’il y a de petites fuites d’air, enroulez de la pellicule plastique autour de la jonction entre l’embouchure et le résonateur pour en améliorer l’étanchéité. Comment et pourquoi différents matériaux produisent-ils des sonorités différentes?

Reconstruisez la clarinette : combien de façons différentes y a-t-il d’assembler une clarinette? Quels sons obtenez-vous si vous ne jouez qu’à travers l’embouchure et le barrillet, ou encore si vous ne jouez qu’à travers l’embouchure, le barrillet et le corps du haut? Que se passe-t-il si vous jouez de l’embouchure alors que celle-ci est insérée à même le pavillon? Que se passe-t-il si vous assemblez la clarinette normalement et vous utilisez des matériaux pour recouvrir le pavillon et les trous? Jouez un mi grave en recouvrant le pavillon d’un bol de métal, ou d’un bout de papier d’aluminium ou de papier de soie.

Mon Frankenstrument préféré!

Le Frankenstrument! Reconstruisez la clarinette en y incorporant d’autres instruments : que se passe-t-il si vous raccordez l’embouchure de la clarinette à des résonateurs empruntés à d’autres instruments tels qu’un trombone ou une flûte?

 Mise en garde : afin d’éviter qu’on endommage les instruments, je supervise la construction des Frankenstruments. Allez-y doucement! Ne forcez jamais la jonction de deux instruments. S’il est impossible de raccorder deux parties d’instruments :

  1. Demandez à un·e participant·e de tenir l’embouchure et de souffler dedans; demandez à un·e autre participant·e d’appuyer le corps de l’instrument contre l’embouchure.
  2. Bricolez-vous un tube servant à raccorder deux parties d’instruments.
  3. Servez-vous de parties d’instruments injouables ou irréparables.

Amusez-vous bien! Dans ce cas-ci, j’ai confiance que vos élèves vous réserveront des surprises.

 

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